Textes

Textes écrits par Louisa Cock

Quartier

Dans mon quartier je veux citer,

Les prés dans les coins des jardins minuscules

L’horizon qui ferraille du métro et qui rame pour rimer avec Oh que c’est beau

Tous les touristes ça va s’en vont le nez quelque fois collé aux basques des publicités

Et d’autres rêveurs d’histoires passées racontées dans des livres

Beaucoup de vies qui s’entremêlent qui donnent des bonjours hélés au passage

Avec des conversations dans des langues de Babel dans mon pays on dit « babeler »

Des mots qui s’enchaînent avalés par les bus de la cité.

Il y a beaucoup tellement de primesautiers aux souvenirs du french cancan

Avec à côté les portes cochères qui ont senti les misères et les guerres passer

Et tout ce remue-ménage des cours et des cœurs affamés.

C’est chouette de s’asseoir sur les bancs des boulevards mais si rare

De ne pas assister

Au spectacle d’humains désespérément désespérés

Le moineau ordinaire y volette à vos pieds et c’est le grand jeu céleste qui accompagne

Tout ce fatras d’injustices qui vous remuent les tripes

désemparé.

Mon quartier a des bistrots aussi dépareillés que de la gente politique

Personne pour apprécier l’air guilleret des éboueurs quand ils se parlent en togolais

Pas grand monde non plus pour les petits mots

- et votre papa ça va mieux il s’en sort de ses chimio ? -

Pas même le temps d’un clin d’œil empathique

Juste un raz-de-marré d’indifférence clinique.

Avec aussi des dimanches matin quiets comme la province sauf en plus

La concierge de l’école primaire qui arrose quarante centimètres de balconnet

Et puis ces gestes rares que sont l’époussetage des chiffons

Qui font-font-font penser à Doisneau, cet autre oiseau rare.

Gens de la route et du pavé unissez-vous gens

De partout bohémiens empanachés réminiscence d’une élégance de pauvreté.

La bohême qui c’était ancré au bateau-lavoir v’là un siècle passé

S’esquisse encore dans des coins d’ateliers et il arrive de rencontrer

Des saluts fraternels entre artisans des divers métiers

Tout est bon à aimer.

Un boulanger tel Vulcain laisse échapper de son sous-sol peu éclairé

Des délices s’évaporant directement du soupirail à nos narines enivrées

C’est pas comme le manque d’attente au guichet de poste il n’y a plus de guichet

Plutôt une aérogare ou sa maquette qu’on aurait bâclée au profit de quoi d’ailleurs

De présentoirs avec les prix affichés les machines self-service sans la paire de lunettes

C’est pas possible la monnaie c’est combien déjà

Mais c’est le progrès ça monsieur c’est sans penser qu’on devient vieux

Et comment dans l’temps on mangeait un bon repas en échange d’un coup de crayon

Bien tombé sur la nappe ou le dos de n’importe quoi qui se mange monsieur Prévert.

Et tous ceux qui passent et font swinguer le quartier à deux heures du mat

Y en a encore qui traînent un flonflon à la boutonnière

Tellement la jeunesse est pleine et ivre de beauté rap et swing mon baby

J’aime bien mon quartier pour pouvoir le quitter sept minutes à pied de la gare

Fuir le trop de murs

Absorber des horizons s’éclater l’iris se requinquer les voies respiratoires

Se décrasser tout ça avant de revenir enviergé et prêt à tout pour continuer

A sillonner au gré des humeurs des labeurs des supermarchés à se cloquer

Des élans ravageurs qui vous remettent le baume au cœur

A reprendre les outils les ustensiles voire même les corvées avec plus de légèreté.

La niaque ce pincement crucial pour s’entendre chanter des te deum

A la gloire de son propre « moi » n’ayons pas peur des maux.

L’enthousiasme remédie aux peines sombres et clic clac on relit une petite ligne

De la vie de « Bohêmes » de Dan Frank chez qui ils ont tous figuré

Quand on a pas la chose on peut avoir l’image

Ici dans mon quartier on s’y balade et les souvenirs qui suintent le long des rues

Acuité du regard flair de cabot connaissance des arts.

Sans compter les rollers en cascades sur les pavés en escaliers vieux du temps des sabots

Plus que des bicyclettes hirondelles ou mieux des papillons

Avec pourquoi pas une odeur de teuch bonne qualité croisée

Mon quartier c’est un délice pour qui veut voyager à l’œil

Faut pas rechigner à la tâche faut fouiller.

Braque par exemple il avait son atelier dans ma rue sa démarche dégingandée

Se devine encore furtivement chez le passant qui va tourner au coin d’la rue-ue-e

Et les goualantes résonnent aux oreillettes des iPhones

Finalement rien n’a changé le cœur seul peut entendre peines ou joies

Blagues ironiques ou prosélytismes dangereux.

Flâner lui va à mon quartier il peut vous avoir des airs de souk à babouches

Qui vous en bouche un goût de miel nectar des fleurs de Marrakech

Et les meufs roulées pas toujours comme des camions

Mais plutôt des printemps si jolies à faire poser des heures sur des tapis

D’un grenat profond les tétons à l’air pour la joie des maîtres pinceaux en l’air.

Ah que foutre diantre il est intéressant d’objectiver les pas

Qu’on laisse défiler au hasard, première à droite deuxième à gauche

Avec un petit sniff sous les vieux bosquets odorants au-dessus du mur de la rue étroite

Et sous le Mont quelque chose peu importe le nom, le vin pourvu qu’on ait

L’ivresse, des grandes capes dans lesquelles s’emmitoufler

Et des mitaines pour faire que faire vaut mieux que dire.

Rêver de ce quartier c’est un luxe qui n’est pas donné

Avec ces petites femmes d’intérieur qui font ça de bon cœur

S’acheter des babioles pour égayer un coin de cuisine

Début de la journée et les touristes passent en s’imaginant vivre là.

Comme si c’était tous les jours évident de rencontrer une Mémé

Qu’a encore une cassette d’El Pele et de l’autre côté un Vicente Amigo,

Sans compter d’un côté Pepe de la Matrona et de l’autre El Nino de Almaden

Non vrai faut’avoir vécu pour mériter ce quartier.

Et rien n’empêche de se prendre un coup de pêche du côté

De Saint-Ouen bus 85, on réajuste ses bretelles, on tire d’un coup sec

Et c’est parti pour une valse musette qui rejoint en un clin d’œil

Le bistrot de Django, et vas-y poulette on tournoie c’est la fête

Des maîtres il en pleut pour qui veut.

C’est bon aussi d’avoir une guinchardise qui vous tourne dans le ciboulot

Pour quand on revient se refaire les courses dans son coin.

Mon quartier c’est encore tout ce que je ne sais pas, je ne sais plus, tous ce que je ne suis plus,

Les nuits blanches et celles du patrimoine et celles de la fête dite de la musique.

Mais vrai il me fait jerker, twister, rocker mon quartier et je l’aime surtout

Quand je me dis que j’ai la chance d’y voir jour après jour ses ciels plus gris

Que dans mon pays.

Et je ne vous parle même pas du profond blues qu’il me file ce quartier quand justement

Je ne le vois pas son ciel de chez moi, et que Naguib Mahfouz dans son Caire avec toute sa

Lumière et sa misère

Il n’avait pas le ciel de tous les gris de mon quartier quand je sors de chez moi mon Paris.

Et on en fait quoi les soirs de désespoir ?

On le copie

On se l’approprie

On se console avec ce qu’on a

la chance d’être là dans mon quartier.

LOUISA

Automne 2012


Dire

Ciel blanc, tuiles luisantes,

Vernisseur du temps arrose mon âme !

La pluie d’Ostende, des czardas et du rosé de Provence,

Son chant derrière les rideaux

La fenêtre ouverte de l’atelier,

Quartier « Petit-Paris », Ostende !

D’ici je suis.

Et suis en ce monde grandie en trois patries. 

Donc, je vous dis aussi de mon village en montagne…

Mais revenons-en ici

Dans mon quartier grand Paris,

Si pour l’heure je m’adresse par la voix d’un ami,

C’est à vous, qui que vous soyez,

C’est pour vous,

Ces coups tracés.

Ces couleurs mélangées,

C’est ma joie de faire.

C’est tous ces moments dérobés,

Raptés avec rage, indispensable ma foi !

Allons, allons, n’ergotez pas, douteux !

Croire au cheminement de son art,

Seule avec ses pensées et ses actes

Au secret dans l’atelier et sur le firmament d’un escalier

Qu’on érige et sur lequel on tient à peine, 

Mais si exaltée, si pleinement heureux dans l’action !

Les coups du sort, le coût des ans, on s’en battre les ailes,

Car rien de tout cela ne renfrogne nos airs et nos aises.

« Tomber dans l’haut* », aller vers un magnificat,

Pour le parfait accord avec tout ce qui échappe,

Vaille.

Et en revenant à ce soir, que j’imagine pétillant mais,

Allez savoir ?

Je voulais vous dire que ces « Natures vivantes »,

Cette exposition, est dédiée à l’UTOPIE.

Bien vôtre,

LOUISA

Automne 2013

* « Tomber dans l’haut » écrit sur les murs des berges de Gand dans les années 1980 ?

 

Lu par RENÉ CARTON, comédien franco-belge

Filmé par MAX GELLER, comédien français